Une récente étude sur le moral des consommateurs américains, réalisée sur la base d’un échantillon démographiquement pondéré de 2000 ménages, révèle que les consommateurs envisagent des évolutions drastiques de leurs dépenses de fin d’année et tout au long de 2009. Selon L.E.K. Consulting, la société de conseil qui a réalisé l’étude, ces prévisions d’évolutions varient d’une catégorie à l’autre, mais les changements seront probablement plus violents que lors des précédents retournements de conjoncture.

Dépenses indispensables contre non indispensables

« Jusqu’aux événements récents, les consommateurs pensaient qu’ils accumulaient de la richesse via l’immobilier et le marché, ce qui les persuadait d’épargner peu et de dépenser beaucoup. Cette tendance connaît un retournement surprenant, avec d’énormes implications pour l’économie, » explique Andrew Rees, vice-président de L.E.K. et co-auteur de l’étude. En pratique, si les taux d’épargne augmentent, c’est-à-dire si les consommateurs se mettent à épargner plus et à dépenser moins, ce sont d’énormes masses monétaires qui seront retirées du secteur de la consommation. Avec, par exemple, un taux d’épargne de 10 pourcent, ce qui s’est déjà produit historiquement, les sommes retirées du marché américain s’élèveraient à 200 milliards de dollars US chaque trimestre.

Les résultats de l’étude révèlent par ailleurs comment les consommateurs hiérarchisent leurs dépenses selon qu’elles sont « plutôt indispensables » ou « pas du tout indispensables ». Les biens d’usage courant tes que l‘épicerie, les produits ménagers et les produits de santé sont classés comme indispensables, alors que les produits tels que les bijoux, les équipements de sport, la décoration sont perçus comme moins nécessaires.

Si l’on creuse un peu plus en profondeur, l’étude révèle des éléments intéressants sur la façon dont les consommateurs effectuent leurs arbitrages. Par exemple, bien que les cosmétiques et la lingerie soient classés au même niveau, c’est-à-dire plutôt dans la partie supérieure de l’échelle, les consommateurs se déclarent en définitive disposés à renoncer à 10 % de leurs achats de cosmétiques, contre 10 à 20% pour la lingerie, soit jusqu’à deux fois plus. « Les consommateurs peuvent ainsi considérer les cosmétiques comme relativement superflus, ils ne sont pas disposés à y renoncer », note Dan McKone, vice-président de L.E.K., l’autre co-auteur de l’étude.

Lipsticks OK, économie KO ?

De tels résultats pourraient donner une certaine consistance à la théorie du Lipstick Index, également connue sous le nom de Leading Lipstick Indicator, un indicateur économique que vous aurez du mal à trouver dans les manuels de micro-économie.

Ce baromètre financier frivole prétend que les ventes de cosmétiques sont inversement corrélées à la santé de l’économie. Les ventes de bâtons de rouge à lèvres, en particulier, augmenteraient en proportion inverse de la chute libre des actifs financiers. C’est à Leonard Lauder, le Pdg du groupe Estée Lauder, que l’on attribue l’invention du concept, à la suite de l’observation empirique du boum de ses ventes de rouge à lèvres dans les périodes économiques difficiles.

Le rouge à lèvres serait l’illustration type de ce que les femmes veulent lorsqu’elles ne peuvent plus se permettre d’en vouloir trop. « Il semble vraiment y avoir une certaine corrélation - quand les temps sont durs, les ventes de gloss [et] les rouge à lèvres ont tendance à exploser, ».confirmait ainsi à la chaîne canadienne CBC News Shawna Weinman, une porte-parole de la marque Cargo Cosmetics basée à Totonto.

Cependant, toutes les données ne s’avèrent pas aussi positives. L’immunité des cosmétiques aux soubresauts de l’économie est toute relative. Le secteur peut être résistant à la récession, il ne lui est cependant pas étranger. Le mois dernier, L’Oréal, le numéro un mondial des produits de beauté, a réduit ses prévisions de ventes annuelles et annoncé une chute des ventes en Amérique du Nord comparativement au niveau atteint au troisième trimestre de l’année dernière.

Au même moment, Avon, le leader mondial de la vente directe de cosmétiques a annoncé un résultat trimestriel en deçà des attentes de Wall Street, après un chute des ventes de 3% en Amérique du Nord.

Au mois d’octobre également, Estée Lauder a ramené la croissance prévue de ses ventes entre 3 et 5 pourcent, en dessous des prévisions initiales fixées entre 6 et 8 pourcent.

Toutefois, d’autres géants du secteur tels que Procter & Gamble, Beiersdorf et Unilever semblent moins touchés et ont annoncé de bons résultats trimestriels.

Sensibilité au prix

En fait, la théorie du Lipstick Index met également en avant l’importance du facteur prix pendant les périodes de désordres économiques. Confrontées à des perspectives financières peu réjouissantes, les consommatrices recherchent un produit qui soit abordable et qui leur permette de se sentir mieux dans leur peau.

Pour l’industrie cosmétique, l’année 2009 devrait donc être une année de mise au régime. Du côté de Mintel, les analystes de marché prédisent une année de consolidation.

« Le 21e siècle a été marqué par l’arrivée de beaucoup de nouveaux fabricants de produits de beauté, nous promettant tous de nous donner une allure plus jeune, plus mince et plus séduisante, chacun avec leur méthode unique. Mais le climat économique plus dur signifie aussi que seule les marques les plus fortes, celles qui peuvent réellement faire la preuve de leur valeur, trouveront leur place dans nos salles de bain. 2009 sera une année de sélection naturelle dans l’industrie de la beauté. Les consommateurs vont demander une véritable valeur ajoutée pour leur argent, ainsi que des résultats visibles, et ils resteront attachés au nombre choisi de marques auxquelles ils font confiance », commente Nica Lewis, consultante pour Mintel Beauty Innovation.

En résumé, nous entrons dans une période de « chic austère ». Comme peu de femmes sont disposées à enterrer leurs trousses à maquillage et à affronter le monde sans fards, il se peut qu’elles choisissent plutôt de ne plus se laisser trop facilement tenter par toutes les petites nouveautés qui les amusaient tant, et qu’elles en reviennent aux bases.

Le luxe confronté à la récession

Une étude récente de la société de conseil Bain & Company a révélé que la croissance de l’industrie mondiale du luxe allait brutalement retomber à 3% en 2008, contre 9% en 2006 et 6,5% en 2007. En entrant dans l’année 2009, l’industrie du luxe pourrait être confrontée à sa première récession depuis six ans. L’étude ne prédit rien de moins qu’un déclin de 7% des ventes mondiales de produits de luxe en 2009, sur la base d’un taux de change constant contre, peut-être, seulement 2% sur la base des taux réels.

Toutefois, l’industrie des cosmétiques pourrait être moins affectée que d’autres secteurs. Selon Claudia D’Arpizio, l’auteur de l’étude, « La croissance des parfums devrait diminuer de moitié en 2008, à 2,6%, alors que les cosmétiques devraient cependant être moins touchés par les mauvaises vente de la période des fêtes de 2008. Bon an mal an, la croissance du marché cosmétique entre 2007 et 2008 devrait rester robuste à 3,0% »

Des marchés en forte croissance

Bien évidemment, les tendances sur les marchés émergents seront certainement différentes, mais il ne faut pas oublier que les pays développés représentent les deux tiers des ventes de l’industrie au niveau mondial. Les marchés mûrs contribuent même à 80% des ventes mondiales d’articles de luxe.

Alors que les marchés émergents que sont le Brésil, la Russie, la Chine et l’Inde seront probablement moins affectés par la récession, les fabricants de cosmétiques qui ont déjà établi de fortes positions sur ces marchés bénéficieront d’un avantage compétitif certain.

Voilà aussi qui peut expliquer pourquoi une société comme Oriflame vient tout juste de réaliser le meilleur trimestre de son histoire et ne se sent pas vraiment affecté par la crise actuelle. La société considère qu’elle ne dispose plus d’opportunités de croissance pour ses produits sur les marchés européens et s’est donc lancé dans d’importants investissements en Asie et en Amérique latine.

« Avec un rythme annuel de 26%, nous sommes actuellement la société du secteur cosmétique qui a la plus forte croissance, et c’était déjà le cas l’année dernière. Nous ne voyons aucun nuage, ni aucun ralentissement nulle part dans le monde actuellement », déclarait ainsi Jesper Martinsson, le Pdg d’Oriflame au journal en ligne indien BusinessLine. Voilà un homme d’affaires qui croit certainement dans la théorie du Lipstick Index.