Premium Beauty News - Vous célébrez les quinze ans de l’agence de design que vous avez fondée. Quels en ont été les moments forts de cette aventure ?

Fabrice Legros - En quinze ans, nous avons eu l’occasion de travailler pour plusieurs marques prestigieuses et sur des projets très variés. Parmi nos clients figurent Guerlain, YSL, Dior, Jean Paul Gaultier, Coty, Inter Parfums et d’autres encore. En dehors du secteur sélectif,Studio Pi Design travaille également avec des groupes sud Américain et Nordique. C’est une expérience qui nous oblige à trouver des solutions créatives différentes de celles que nous utilisons dans le secteur du luxe.

Difficile au sein de tout cela de mettre en avant tel ou tel projet, mais disons que la création du flacon d’Omnia pour Bulgari a été un très bon moment, tant du point de vue créatif que de la relation avec les équipes de la marque. J’aime aussi citer la palette Essence de Narcisso Rodriguez qui regroupe un parfum liquide, une concrète et un fond de teint parfumé.

Premium Beauty News - Quels enseignements tirez-vous de ces expériences ?

Fabrice Legros - Il me semble que l’enjeu principal réside dans la qualité de la relation qui s’établit entre le designer et les équipes. De cette relation va dépendre la qualité de la création, les mots utilisés dans le brief pour exprimer les besoins de la marque, et leur bonne compréhension par le designer. Un mot mal choisi par l’équipe marketing, ou mal interprété par le designer, peut-être un vrai piège. Il est donc important de bien communiquer pour éviter ce type de surprises.

Évidemment, plus le brief est complet, plus la création est évidente. Parfois, un board est préférable, car les images permettent d’entrer dans un univers tout en laissant une marge plus grande à l’imagination.

À ce niveau aussi la création du flacon d’Omnia pour Bulgari reste un grand souvenir. Pour la première fois on nous a donné carte blanche. Cela nous a obligé à reprendre tout l’ADN de la marque, et sur cette base solide nous avons pu laisser aller notre imagination. Très curieusement, cela n’a pas abouti à une multitude d’idées mais à un projet qui a tout de suite emporté l’enthousiasme du client.

Premium Beauty News - N’est-ce pas justement tout le talent du designer : savoir s’imprégner de l’esprit d’une marque avant d’innover ?

Fabrice Legros - Je crois que c’est effectivement l’essence du métier. Il y a beaucoup de designers qui se prennent pour des artistes. Je crois au contraire que ce métier est très différent du métier d’artiste.

Un designer doit se mettre au service d’une marque, des codes de cette marque, il doit s’adapter et adapter son style à la marque. Ça ne veut pas dire qu’il ne peut pas avoir de sensibilité artistique propre, mais il doit être capable de l’intégrer dans les codes de la marque. Ça veut dire maîtriser les codes du baroque quand la marque le demande, et au contraire savoir être minimaliste pour les marques qui l’exigent.

Travailler pour des marques, c’est très différent d’une activité de design d’auteur, qui produit des objets personnels. Il faut savoir adapter son expression créative à l’identité de ses clients. Et entrer dans l’ADN d’une marque est encore plus essentiel lorsqu’il s’agit d’une marque de créateur avec une forte personnalité. Je pense notamment au travail réalisé pour les flacons des lignes Boudoir et Libertine de Vivienne Westwood.

Enfin, il faut ajouter que le design c’est aussi une expertise technique. Il ne suffit pas de faire de jolies formes. Il faut aussi savoir utiliser des matériaux en cohérence avec la forme, et savoir prendre en compte les contraintes de prix propres à chaque projet.

Premium Beauty News - À ce sujet, qu’en est-il de la contrainte écologique dans votre métier ?

Fabrice Legros - Nous voyons apparaître des briefs fortement orientés vers le respect de cahiers des charges environnementaux, imposant le plus souvent des matériaux recyclés ou recyclables.

Mais je dois dire que c’est une problématique très complexe pour l’univers du luxe. Car l’enjeu du luxe c’est de faire rêver, et pour cela le packaging joue un rôle essentiel. Je crois par exemple que c’est un secteur où trop pousser la recherche de réduction du poids des emballages peut vite devenir problématique sur le marché. Cela ne veut pas dire que l’univers du luxe peut s’affranchir de la contrainte environnementale, mais qu’il faudra certainement trouver des solutions qui lui soient spécifiques.

On peut imaginer, par exemple, que les flacons restent des objets précieux, et même qu’ils le deviennent de plus en plus, mais qu’on ne les jette plus. C’est le concept de la fontaine à parfum développée pour le parfum Angel de Thierry Mugler. On pourrait ainsi revenir à l’esprit initial du flacon de luxe en parfumerie : un objet de collection que l’on garde précieusement. On a un phénomène approchant, pour des raisons différentes, au Japon. Les Japonaises se parfument très peu mais adorent les très beaux flacons qu’elles placent en évidence dans leur salle de bain comme objets décoratifs de prestige.

Quoi qu’il en soit, c’est le consommateur qui enclenchera ou non ce phénomène. Aujourd’hui, les équipes marketing sont tellement proches du marché et tellement réactives que dès que cette tendance, ou une autre, s’enclenchera, la réponse des marques sera très rapide.