Dès le début du congrès, Daniel Thomas, expert mondialement connu et pionnier dans le domaine des biotechnologies a posé le décor. Selon lui, les biotechnologies industrielles utilisant la biomasse sont parvenues à un stade mature avec une expansion continue grâce notamment à l’émergence du concept de « bioraffinerie ».

Les « bioraffineries » s’efforcent de remplacer les matières premières issues du pétrole par des ressources renouvelables et de valoriser au mieux les plantes en s’intéressant à leurs différents composés. À partir de la biomasse issue des milieux agricoles, marins ou forestiers, des bio molécules, des bio matériaux, des bio énergies ou encore des bio ingrédients sont ainsi produits suivant des procédés qui très souvent s’appuient sur les principes de la chimie verte.

« Les bioraffineries sont par ailleurs en interaction avec les territoires où elles sont implantées. La Bretagne fait partie des régions qui ont su dégager des spécificités de leur ouverture sur la mer, » précise Daniel Thomas avant d’opposer les bioraffineries de proximité à celles qui font venir de très loin la biomasse avec un moindre souci de durabilité.

Molécules marines

Parmi les ressources naturelles et renouvelables, celles qui sont issues des océans sont souvent remarquables, tant par leur quantité que par leur diversité. « Le plancton constitue 98% de la biosphère, on dénombre de 10 à 100 milliards de microorganismes par litre d’eau océanique » précise Stéphane Bach de la Station Biologique de Roscoff, qui conduit un important projet de criblage de la biodiversité planctonique à la recherche d’activités biologiques d’intérêt industriel.

Polysaccharides issus de microalgues, oligosaccharides issus d’ulvane, acides gras libres en provenance d’actinomycètes marins : le monde marin inspire les laboratoires de recherche qui prospectent des procédés d’extraction performants.

« Notre équipe a travaillé sur de nouveaux procédés enzymatiques pour l’extraction des ulvanes. Les oligoulvans obtenus et testés in vitro augmentent de 346% la production de sirtuines,  » explique Hélène Marfaing du Centre d’Études et de Valorisation des Algues de Pleubian.

De son côté Sederma a également étudié les techniques d’hydrolyses acide et enzymatique, mais aussi la saponification, pour optimiser les rendements d’acides gras libres à partir d’actinomycètes. « La méthode la plus efficace est la saponification, » conclut Jodie Symington, Ingénieur de Recherche chez Sederma.

Amplification du vivant

Plus généralement, toutes les ressources végétales font l’objet d’importants travaux de recherche. Et aujourd’hui, c’est l’intégralité d’une plante est explorée, plus seulement quelques parties spécifiquement ciblées.

Les chercheurs s’efforcent aussi de multiplier la productivité des plantes. C’est ainsi que les racines - lieux de synthèse d’hormones et de métabolites secondaires - peuvent être multipliées par l’intermédiaire d’une bactérie Agrobacterium rhizogenes permettant la culture de racines chevelues. Des espèces sauvages comme la myrtille ou l’eldelweiss grandissent en bioréacteurs pour favoriser la formation de principes actifs et pallier l’interdiction ou la difficulté de la cueillette. Des molécules disponibles en faible quantité dans le monde du vivant peuvent aussi être imitées par la voie des biotechnologies. « Nous avons reproduit par voie métabolique la production de δ-viniférine, un dimère naturellement rare du resvératrol et présentant des activités anti-âge,  » témoigne Caroline Malhaire de Solabia. Les exemples sont nombreux et les techniques employées performantes.

La voie enzymatique

L’utilisation d’enzymes pour la catalyse figure parmi les techniques les plus courantes. « Nous les utilisons pour dégrader les parois végétales et contribuer à la libération des composés des graines. Ce sont des alternatives à l’extraction au solvant, » précise Lionel Muniglia, Directeur Scientifique et cofondateur de la société Biolie. « Par la voie enzymatique, nous atteignons des analogues de céramides appelées pseudo-céramides très appréciées en cosmétique, » complète Florian le Joubioux de l’Université de La Rochelle.

Trouver de nouvelles enzymes est donc un enjeu majeur et c’est l’objectif d’Isabelle André de l’INSA de Toulouse. « Nous identifions les acides aminés les plus adaptés à la molécule que l’on veut produire, nous partons de la molécule cible et regardons comment on peut introduire de la diversité, » explique-t-elle.

D’autres techniques sont néanmoins employées ou couplées aux procédés enzymatiques. La société bretonne Polaris travaille ainsi sur une association entre distillation moléculaire et transestérification enzymatique ; « Avec cette combinaison de procédés, nous extrayons jusqu’à 40% d’acide gamma-linolénique à partir d’huile de bourrache alors qu’habituellement les rendements ne dépassent pas les 20% » indique Bennoit Lennon.

Les micro-ondes font aussi partis du panel des techniques employées pour extraire et transformer des ingrédients à haute valeur ajoutée.

Mesurer l’impact environnemental

Lorsqu’il s’agit de mesurer l’impact environnemental de ces techniques, les réponses sont toutefois loin d’être univoques. « La question se pose de savoir si les biotechnologies sont mieux que la chimie et si l’inverse n’est pas aussi vrai, » questionne Romuald Vallée, Codif International, en introduction de la session du congrès dédiée à ce sujet.

Des outils de mesure se développent au sein de certaines entreprises afin de connaître précisément le poids des entrants et des sortants sur l’environnement. « Nous avons sélectionné après un long travail de recherche bibliographique trois indices environnementaux : la consommation en eau, les émissions de gaz à effet de serre et l’e-factor [1], auxquels nous avons ajouté un indice maison, l’eco-factor prenant en compte les déchets générés au cours des procédés. Nous comptons dans le futur aller plus loin dans notre démarche avec un indicateur lié à la biodiversité et un sur l’impact des eaux de nettoyages sur le traitement des effluents  » présente Stéphanie Guillotin de Codif International.

L’Oréal pour sa part procède à une analyse multicritères de la durabilité de chaque ingrédient ou procédé. « Nous constituons ainsi des passeports matière verte où l’on retrouve des données liées à l’e-factor, au pourcentage de carbone renouvelable, à l’écotoxicité,  » témoigne Michel Philippe, Responsable Chimie Verte chez L’Oréal.