Des défis à relever

Pourquoi les emballages de produits cosmétiques, notamment dans l’univers du luxe, ne sont-ils pas davantage réutilisés ? Pour ne citer que quelques-unes des raisons :

 Côté consommateur : Celui-ci a souvent envie de changer et zappe de produit en produit et de marque en marque. Même fidèle à une marque, il peut trouver plus facile de jeter le pack vide et de racheter un produit. De plus les systèmes de recharge peuvent imposer des manipulations ‘mécaniques’ jugées compliquées ou clashant avec l’univers de la beauté.
 Côté distribution : Il est plus complexe de devoir gérer deux références par produit, le produit complet et la recharge. Offrir le service de rechargement implique du personnel formé et consomme du temps ; si certaines marques souhaitent que l’intervention se déroule en back office pour garder discrète l’intervention ‘mécanique’, il faut disposer de l’espace nécessaire, etc.
 Côté marques : Il s’agit de reconcevoir le packaging pour le rendre durable, rendre le rechargement simple et intuitif, le tout en cohérence avec les valeurs de la marque. Par ailleurs, ce pack réutilisable (10 à 20 fois par ex, soit 2,5 à 5 ans d’utilisation) devra être compatible avec des tendances qui auront changé plusieurs fois et des formules qui pourront avoir évolué.
 Côté fabricants : Ils devront concevoir les packs pour durer beaucoup plus longtemps ; les matériaux et les finitions devront résister au vieillissement et les fonctions mécaniques (pompes, systèmes d’ouverture, applicateurs…) devront pouvoir encaisser beaucoup plus de sollicitations. Et l’implication sur leur Business Model est potentiellement majeur, car l’augmentation de la réutilisation des packs va corrélativement entraîner une diminution des volumes produits - sauf à être compensés par une croissance concomitante du marché.

Des pistes pour la feuille de route de l’industrie ?

Ces défis nous indiquent les directions dans lesquelles orienter les programmes d’innovation qui pourraient schématiquement suivre deux directions :

 Pour le mass, miser en priorité sur le Reduce + Recycle, avec des packs simplifiés au maximum, en mono-matériau, utilisant le strict minimum de matière, et que cette matière soir ‘green’, recyclée et recyclable indéfiniment en boucle fermée.
 Pour le luxe, miser prioritairement sur le Reuse, avec des packs nobles et durables.
 Et bien sûr il existe une infinité de nuances, de combinaisons, entre ces deux extrêmes.

L’enjeu pour le luxe est de créer des packagings tellement beaux et fonctionnels que personne n’imaginera les jeter. Les marques pourront alors intégrer une très haute valeur dans les packs puisque leur coût pourra être amorti sur un nombre d’utilisations plus important. Même si on imagine un coût multiplié par 2 ou 3, ce qui ouvre des opportunités de conception considérables, le bilan reste extrêmement positif si on envisage 10 ou 20 utilisations - et pourquoi pas beaucoup plus ?

Si des solutions rechargeables existent depuis longtemps pour les pots de crème de soin, certaines initiatives pionnières ouvrent des voies intéressantes pour d’autres produits : avec le Mascara Curator de Hourglass, l’utilisatrice n’achète qu’une fois l’applicateur, qui est en acier plaquée or, il restera beau et fonctionnel très longtemps ; Guerlain (avec le Rouge G), La Bouche Rouge ou Serge Lutens proposent des rouges à lèvres rechargeables – on ne change que la cartouche contenant le produit et on garde l’habillage, réalisé en matériaux nobles ; de même Cha Ling propose pour ses produits de soin des flacons et des pots en porcelaine dont on échange la recharge.

Et bien sûr, ces packagings durables et réutilisables peuvent, en plus, intégrer une part croissante de matériaux PCR ou verts, et être conçus de telle sorte que - lorsqu’au soir d’une longue carrière ils auront gagné le droit à être retirés du service avec les honneurs - ils soient recyclés proprement pour nourrir une économie en boucle fermée.

L’industrie cosmétique comme influenceuse de l’ensemble de la consommation ?

Hors de la cosmétique, des initiatives de cette nature se multiplient. LOOP, par exemple réinvente une version moderne de la consigne et vise cent réutilisations pour des packs alimentaires et de personal care !

L’expérience montre que les usages sont perméables entre les différents domaines de consommation, et que beaucoup de pratiques éco-responsables apparaissent dans l’alimentaire pour se propager par contagion à la beauté (ou, plus rarement, l’inverse). Ainsi, plus des initiatives du type de LOOP se multiplieront, plus les consommateurs en viendront à attendre ces avantages comme un dû dans l’ensemble des domaines de consommation. Les marques de beauté pourraient trouver avantage à agir de manière proactive plutôt que de laisser l’initiative aux consommateurs, qui pourraient alors leur reprocher de ne pas aller assez vite et assez loin.

L’industrie de la Beauté est l’une des plus visibles (elle concentre le tiers de tous les échanges sur les réseaux sociaux), elle comprend des marques parmi les plus connues et influentes du monde. Elle dispose ainsi d’un pouvoir d’influence considérable et pourrait contribuer à orienter la consommation vers des modèles plus vertueux et durables, et faire figure d’exemple à suivre.

L’enjeu est largement à la hauteur des défis : il s’agit, ni plus ni moins, d’inventer la beauté réellement durable de demain, tout en générant de l’engagement et de la fidélité.