David Frossard, Différentes Latitudes

Premium Beauty News - Contrairement à d’autres pays d’Europe comme l’Italie, l’Allemagne ou l’Angleterre, la parfumerie alternative peine à se trouver une place significative en France. Comment les choses vont elles évoluer ?

David Frossard - Il y a 15 ans, seuls quelques amateurs s’intéressaient à ce type de parfums, aujourd’hui le concept de la parfumerie alternative est intégré. Elle est devenue accessible et le secteur a élargit sa base de clientèle, même si la France - historiquement et culturellement - est moins ouverte à l’avant garde dans ce domaine. Alors oui l’avenir peut être florissant, à condition de bien définir le concept et de régler les problématiques de structure.

Johann Vitrey - Elle a un avenir très mesuré. La France, pays berceau de la parfumerie et des plus grandes marques du sélectif, appartenant à des groupes détenant également des réseaux de distribution, laisse peu de place à la parfumerie artistique et confidentielle qui par définition est propriété de petites maisons, d’artistes souvent indépendants. Il est difficile de s’imposer dans un pays saturé.

François Hénin - La parfumerie alternative arrive à une étape intéressante, à un moment de maturité où elle va devoir s’exprimer autrement. On constate un épuisement conceptuel mais certaines d’entre elles réfléchissent à une identification plus affirmée au travers du pack ou de la communication. L’avenir se fera surtout par le retail et son développement. C’est la grande révolution attendue pour pallier le désert de la distribution de parfums rares dans notre pays.

François Henin, Jovoy

Premium Beauty News - Comment « révolutionner » cette distribution ?

François Hénin - La révolution viendra peut être des grands opérateurs car il faut être prêt à investir sur le long terme. C’est aussi et surtout redessiner la carte de France des parfumeries. Jovoy, Ombres Portées, Sens Unique … les initiatives existent et fonctionnent pour sortir du cercle parisien et conquérir le cœur du pays.

David Frossard - C’est une parfumerie qui n’a pas de réseau de distribution à proprement parler, quelques indépendants, des grands magasins, des concept stores … c’est très hétéroclite. Il va falloir définir dans quel circuit cette parfumerie peut vivre et se développer. Les choses bougent déjà. Des concepts comme Liquides, mon bar à parfums, intéressent de grands magasins, car ils offrent une expérience de shopping inédite tournée vers un vrai conseil en parfumerie. L’intérêt des grands distributeurs grandit, Sephora a sélectionné quelques marques de parfumerie alternative, comme Juliette Has A Gun, (ndlr : Sephora vient d’ouvrir un magasin 3.0 mettant en avant également les parfums de niche avec une vaste collection de testeurs), Le Bon Marché consacre exclusivement son espace parfumerie à ce secteur, Le Printemps lui dédie une belle place et Les Galeries Lafayette y reviennent avec des marques comme Atelier Cologne ou Ex Nihilo.

Johann Vitrey - Effectivement, LVMH se rapproche de cette idée d’un retour à la vérité au travers de sa boutique Small is Beautiful implantée à St Germain en Laye. C’est un concept totalement orienté vers le client, l’accueil et le service avec une mise en avant travaillée des produits du groupe. Le concept en soi est un modèle et un exemple à suivre, c’est une révolution dont je suis prêt à m’inspirer.

Une solution pourrait être aussi l’ouverture de boutiques en franchise qui permettraient d’organiser un réseau direct de points de vente avec sa propre centrale d’achat. Beaucoup y pensent depuis longtemps, quelques uns l’on fait. Cela demande un investissement colossal pour un retour aléatoire.

L’idée d’avoir son réseau de boutiques en propre en est une également, j’encourage les marques dans cette direction. Pas toutes évidemment, il faut avoir une gamme suffisante, des projets d’extension et le potentiel pour le faire. C’est un investissement important mais c’est exactement ce que recherche le client français, rentrer dans un univers, dans une marque et se l’approprier.

Johann Vitrey, Sesame by JV

Premium Beauty News - Outre la distribution, de quels maux souffre la parfumerie alternative en ce moment dans notre pays ?

Johann Vitrey - Personne aujourd’hui n’arrive à s’entendre sur la définition même de ce segment, c’est la première difficulté. Il est difficile de trouver sa place lorsque l’industrie n’est pas elle même, bien définie. Qu’est ce que la parfumerie rare ? Quelles marques on y met, quelles marques on exclut ?

Ensuite, la taille des sociétés qui sont derrières ces marques. Ce sont souvent des personnes qui au delà de leurs compétences de création n’ont pas forcément suivi de formations quant à la réglementation, à l’export ou la législation. Il y a un manque d’organisation et de professionnalisation. Nous essayons d’apporter des solutions au travers de Paris Parfums Rares et d’autres font de même par le biais, par exemple, des labels Différentes Latitudes et Comité Joséphine. Les choses se mettent en place pour une meilleure organisation.

Enfin, ce poids de la parfumerie sélective dans un réseau partagé. Les contrats passés par les marques des grands groupes avec des parfumeries indépendantes les obligent à un certain nombre d’achats annuels et les égorgent dans un contexte économique difficile. Cela ne leur permet pas d’investir ailleurs c’est à dire sur la parfumerie rare.

David Frossard - Elle se doit d’être pragmatique et de répondre aux règles du marché. Multiplier les lancements correspond à une logique de rentabilité linéaire pour les marques ayant une stratégie visionnaire et construite. Cela participe à cette vivacité créative propre au secteur mais ne doit pas laisser penser que tout est permis. C’est de la responsabilité des distributeurs, des détaillants et même de la presse de faire le tri pour écarter ceux qui se revendiquent d’une parfumerie créative qui n’en est pas une. Ce nombre de marques pléthorique qui se lancent, ajoute à la confusion dans l’esprit de l’acheteur, qu’il soit professionnel ou final et empêche les bonnes marques d’émerger. C’est la raison pour laquelle j’ai créé un label (ndlr : Différentes Latitudes). C’est un concept fermé qui garantit une véritable parfumerie créative, un ADN, une histoire, un concept durable.

François Hénin - Effectivement, la parfumerie de niche souffre déjà de la course en avant. Les marques avec un véritable ADN s’en sortent très bien comme on a pu le voir avec les récents rachats par de grands groupes. Le dernier rempart reste les détaillants qui ont cette connaissance et ce pouvoir de sélection d’une véritable parfumerie rare.