Yannick Vermorel, président du French Cosmetic Workshop

« Made in USA », « Proudly Made in America », « Rendez-vous en France », « Origine France Garantie », les marques de certification d’origine ce sont multipliées au cours des dix dernières années, comme autant de signes d’une inquiétude croissante, tant de la part de populations frappées par le chômage de masse, que de celle d’industriels menacés par la concurrence internationale. En France, le « Ministre du redressement productif » a lancé un logiciel permettant de calculer les avantages de la relocalisation. Il est mis gratuitement à la disposition des entreprises par l’Agence française des investissements internationaux.

L’irrésistible montée de l’Asie

Mais ces initiatives semblent dérisoires face à un mouvement qui, depuis des années, s’étend inéluctablement à toutes les gammes, au fur et à mesure de la progression technologique des fournisseurs asiatiques. Aujourd’hui, même des produits à très forte valeur ajoutée sont touchés.

« Il y a quelques années, peu de fournisseurs de packaging de luxe revendiquaient disposer de lignes de production en Asie, » explique Yannick Vermorel, président du French Cosmetic Workshop, une entreprise spécialisée dans la fourniture de solutions made in France pour marques propres de cosmétiques. « Aujourd’hui, lorsqu’on visite le salon Luxe Pack qui se tient tous les ans à Monaco c’est l’inverse qui est frappant. »

De fait, la progression qualitative des fournisseurs asiatiques de packaging beauté est impressionnante. Les transferts de technologie, du Japon vers la Corée ou de l’Europe vers la Chine ont facilité la progression fulgurante des savoir-faire des pays émergents. La montée en puissance du salon Cosmoprof Asia - 2000 exposants et 55000 visiteurs en 2012 - prouve qu’aujourd’hui l’Asie est devenue incontournable pour l’industrie de la beauté. Le mouvement de désindustrialisation a atteint de tels niveaux, en Europe et en Amérique du Nord, que certains produits ou accessoires ne sont pratiquement plus disponibles qu’en Asie. «  C’est le cas, par exemple, des boîtiers standards de maquillage, ou des accessoires multi-matériaux tels que les pinceaux, » précise Yannick Vermorel.

Développement durable

Pourtant, la relocalisation ne semble plus tout à fait utopique et plusieurs acteurs de la filière cosmétique affirment que ce mouvement est engagé. « Le raisonnement des responsables de grandes marques, en Allemagne ou en France, est que les consommateurs sont de plus en plus conscients des conséquences sociales de leurs actes d’achat, » considère Marie-Laure Vieillard, responsable marketing et communication de Leoplast, un fabricant italien de packaging et de pièces techniques en plastique injecté pour cosmétiques, et spécialiste des produits éco-conçus.

Cela concerne évidemment en priorité le segment éthique. « Les marques du bio certifié en Allemagne, ou des distributeurs comme DM, reçoivent de plus en plus de questions de consommateurs sur ce sujet, » ajoute Marie-Laure Vieillard. Conscients de la contradiction entre des revendications de respect de l’environnement, d’une part, et des approvisionnements en Asie d’autre part, ces marques ont revu leurs cahiers de bonnes pratiques en s’imposant un pourcentage minimum de packaging produits en Europe.

Quadpack, un groupe jusque-là exclusivement centré sur le sourcing de packaging de qualité, notamment en Corée, a récemment fait l’acquisition du fabricant espagnol de composants en bois Technotraf. Pour son tout premier outil de fabrication, Quadpack a donc choisi un site européen ! Il s’agit bien sûr de garantir l’accès de ses clients à des produits innovants de très bonne qualité. Mais cette acquisition, s’explique aussi par « la volonté de Quadpack de diversifier ses sources d’approvisionnement vers des produits éthiques : fabriqués en Europe à partir de matériaux durables. »

Qualité, flexibilité et innovation

Mais l’éthique et la générosité suffisent-elles ? D’autres facteurs favorisent le mouvement de relocalisation : l’augmentation des coûts de transport, les délais de livraison trop longs, les difficultés de coordination avec des équipes situées à distance, les problèmes de qualité et de non-conformité, les risques de contrefaçon. « L’Asie est synonyme de grandes quantités et de qualités aléatoires, » estime Yannick Vermorel.

« La fiabilité et l’innovation, sont indispensables à la réussite et sont intimement liées à la proximité avec les clients, » estime pour sa part Olivier Salaun, le Pdg de PSB Industries, dont la filiale Texen, 4e fournisseur mondial de packaging pour la cosmétique et la parfumerie, dispose de sites en France, en Amérique du Nord et du Sud.

La proximité permet aussi de rationaliser les flux, de réduire les délais de livraison et donc les stocks clients. Par ailleurs, le durcissement des réglementations européennes, avec REACH et le nouveau Règlement sur les cosmétiques, n’est pas neutre. Pour Laurence Mulon, consultante indépendante, ces textes « obligent les marques à obtenir de nouvelles informations de leurs fournisseurs, ou même à modifier certains processus de fabrication, ce que n’ont pas toujours anticipé les sociétés asiatiques. »

Mais tous les acteurs s’accordent sur le fait que l’amplification, ou non, du phénomène passera obligatoirement par l’adaptation des fournisseurs européens ou nord-américains. Car les coûts n’expliquent pas tout, face notamment à des concurrents coréens qui ne sont pas forcément bons marchés mais font preuve de souplesse et de créativité.

Vers un monde multipolaire

D’autant que le développement des marchés émergents va continuer et que les transferts technologiques nécessaires pour servir ces nouveaux clients vont donc se poursuivre. De nouvelles usines vont ainsi ouvrir en Asie et en Amérique latine, de nouveaux partenariats avec des fournisseurs locaux vont se nouer et de nouveaux concurrents monteront en puissance.

Une évolution qu’Albéa a choisi d’anticiper. Après le rachat de Rexam Personal Care, le groupe dispose maintenant d’un réseau de 46 sites dans 14 pays et est présent dans quatre corps de métiers : les tubes, les packaging rigides, les systèmes de distribution et les « beauty solutions » (full service et sourcing). Albéa se présente ainsi comme un acteur à la fois global et local. Une stratégie certainement bien adaptée aux nouveaux défis d’un monde plus multipolaire que jamais, à condition qu’elle permette aussi de maintenir la capacité d’innovation du groupe, qui demeure la clef de la réussite de tous les acteurs, quelle que soit leur taille.