Dominique Sigaudo-Roussel

Premium Beauty News - Les travaux de l’équipe que vous dirigez se concentrent sur la fonctionnalité et la dynamique du tissu cutané. De quoi s’agit-il précisément ?

Dominique Sigaudo-Roussel - À l’origine mon équipe s’intéressait essentiellement à la microcirculation au niveau de la peau. À partir de modèles non invasifs, nous étudions l’effet de l’environnement comme l’application d’une pression sur les interactions entre les petites fibres nerveuses de la peau et les vaisseaux notamment chez les personnes jeunes, âgées ou diabétiques. En 2013, suite à une réorganisation au sein de l’unité à laquelle l’équipe appartient, nous avons fusionné avec celle de Pascal Sommer qui s’intéresse à l’élastogenèse dans la matrice extracellulaire et aux modèles de vieillissement. Ce remodelage de l’équipe a ouvert le champ d’investigation à la composante élastique. Il donne aussi accès à des techniques in-vitro qui vont nous permettre d’étudier des interactions cellulaires très spécifiques au modèle intégré et à l’influence de la pression.

Notre nous intéressons aux réponses données par la peau lors de sollicitations de pressions, quelles soient faibles, comme lors d’un massage, ou fortes, ce qui peut induire des lésions de peau telles que les ulcères, les lésions de nécrose. Nos travaux portent actuellement sur l’influence des fibres élastiques sur les interactions neuro-vasculaires et sur la relation à la pression. Quels gènes, quelles voies de signalisation sont activés, quels récepteurs sont mis en jeu ? Comment le tissu se régénère ? Quelles fonctionnalités sont touchées ? Et quels sont leurs modifications au cours du temps ? Ces études ont des résonnances avec le monde des cosmétiques qui lors de l’application de crèmes de beauté exerce une pression sur la peau mais aussi avec le monde de la pharmacologie thérapeutique avec la problématique des lésions chroniques de la peau.

Premium Beauty News - Quels mécanismes biologiques avez-vous mis en lumière récemment ?

Dominique Sigaudo-Roussel - Nous avons publié cette année dans Nature Medecine [1] la découverte de l’implication d’un mécano récepteur dans la transduction d’une pression faible et qui interagit avec notre mécanisme. Nous avons montré qu’une faible pression peut prédire le comportement de la peau sous forte pression. On observait cette relation depuis plus de 10 ans et nous avons pu aujourd’hui la mettre en évidence. En fonction de la cinétique de reperfusion à la levée de la pression, le tissu se nécrosera ou pas 24h après. Le mécano récepteur impliqué est ASIC3 et le neuropeptide CGRP, molécule connue depuis plusieurs années comme étant impliquée dans des réactions inflammatoires mais qui, selon sa concentration tissulaire, peut induire d’autres effets. Nous revisitons ainsi le concept de la molécule CGRP.

Premium Beauty News - Lors de votre intervention lors des dernières Journées européennes de dermocosmétologie, sur le thème de la cicatrisation, vous avez évoqué les paramètres extérieurs - psychologie et bien-être notamment - comme facteurs influençant les réponses de la peau à des sollicitations de pression.

Dominique Sigaudo-Roussel - En effet, nous avons observé que l’induction d’une douleur peut avoir un effet délétère sur la réponse microvasculaire à la pression mesurée sur un territoire cutané à distance de la douleur. Le système nerveux réagit à la douleur, il transmet des signaux chimiques, déclenche la synthèse de molécules de stress et l’on voit le comportement de la peau être modifié en réponse à une faible pression. Si on bloque les récepteurs à la douleur, on récupère la réponse microvasculaire à la pression.

En extrapolant sur une personne saine, on pourrait ainsi tester la qualité de la peau en fonction de l’état de stress de la personne, des conditions d’application du produit, de l’estime de soi. Il faudrait agir sur un récepteur, un partenaire cellulaire ou moléculaire pour mettre en lumière ces mécanismes et moduler l’influence de ce monde psychique. Le corps humain répond à son environnement, parfois il s’adapte, parfois il se dérégule et cela en fonction de la chronicité d’environnements néfastes mais aussi en fonction d’aptitudes individuelles.

À ce jour nous tenons compte de ces observations et intégrons toujours un questionnaire sur l’humeur et le ressenti de la douleur lors de nos études cliniques.

Premium Beauty News - Comment voyez-vous le futur les soins de la peau ?

Dominique Sigaudo-Roussel - La peau transmet de nombreux messages qu’ils soient métaboliques ou psychologiques. Aux travers des mécanismes que l’on découvre, notre but n’est pas de savoir comment réparer plus vite une lésion mais comment mieux la réparer et éviter qu’elle ne se reforme au cours du temps. Je suis dans un esprit de prévention, de pouvoir « éviter de », en investissant sur la qualité de la peau. Selon moi, le futur des soins se fera par des approches globales, à travers le mode d’application, l’environnement et en ne traitant pas seulement le site mais en tenant compte de la personne dans son intégralité.

Au niveau de l’équipe de recherche, nous avons une grande force conceptuelle sur la fonctionnalité et la dynamique de la peau que l’on peut décliner de l’épigénétique, à la culture cellulaire jusqu’à l’homme pris dans son individualité. C’est un bon programme pour les 10 années à venir.