Jérôme Lamartine

Premium Beauty News - Vous êtes scientifique de formation, diplômé de l’École Normale Supérieure de Lyon en biologie moléculaire et génétique, vous avez été chercheur au CEA d’Évry, comment en êtes-vous venu à vous intéresser à la peau, à l’épiderme, à la différenciation et au stress ?

Jérôme Lamartine - En effet je suis scientifique de formation et non médecin dermatologue. Avant de rejoindre en 2005 le centre de génétique et de physiologie moléculaire et cellulaire du CNRS de Lyon, j’ai participé à des projets de recherche visant à comprendre les mécanismes cellulaires au travers de leur expression génomique. J’ai commencé à investiguer ce sujet par une thèse réalisée au Centre International de Recherche sur le Cancer à Lyon en m’intéressant aux gènes impliqués dans les maladies génétiques du système immunitaire. Puis j’ai été recruté au Généthon d’Évry pour travailler à l’identification de gènes responsables de maladies dermatologiques rares telles que les dysplasies ectodermiques qui se traduisent notamment par des défauts de formation des poils aussi bien au niveau de la peau que des cheveux. C’est donc par l’intermédiaire des maladies génétiques que j’ai commencé à m’intéresser à la peau. Ces travaux ont été suivis quelques années plus tard au CEA d’Évry par des études des effets des radiations, telles que les radiations ionisantes, sur la peau en utilisant des approches d’analyse à haut débit. Ces technologies, comme les puces à ADN ou le séquençage à haut débit, permettent d’aborder la cellule dans sa globalité. La cellule est très complexe avec des millions d’objets biologiques et ces méthodes d’investigation permettent d’avoir une large vision des phénomènes.

Actuellement, avec mon équipe au CNRS de Lyon, nous nous intéressons au stress génotoxique [1], à son impact sur l’homéostasie de la peau et sur la survenue de pathologies cutanées comme les cancers. Nous cherchons à savoir comment une cellule entre dans un programme de différenciation, quels sont les mécanismes moléculaires associés et comment ce programme est perturbé sous l’effet de stress génotoxiques.

Premium Beauty News - Quelles sont sur ce sujet vos dernières avancées ?

Jérôme Lamartine - Récemment, nous avons mis en évidence l’implication de facteurs de transcription notamment ceux qui interviennent à un moment très important pour la cellule épidermique : lorsqu’elle arrête de se diviser et commence à se différencier. Nous avons montré que les mêmes régulateurs agissent au cours de la différenciation normale et lors d’une réponse au stress.

Pour exemple, un acteur important que nous avons découvert est le facteur de transcription GATA-3 [2]. Cette molécule joue non seulement un rôle dans la formation du follicule pileux mais intervient aussi pour réguler la réponse des gènes à l’irradiation gamma au niveau de l’épiderme. Le GATA-3 participe à l’arrêt de la prolifération de la cellule et à son entrée en différenciation. Nos démarches ont pour but de mettre en lumière le lien entre stress et différenciation au travers des acteurs moléculaires impliqués dans ces phénomènes. Le vieillissement fait parti de nos recherches. L’exposition solaire est un stress pour la peau qui va répondre en accélérant sa différenciation, en modifiant certains réseaux génétiques. Nous cherchons à savoir comment protéger la peau du stress génotoxique, voire comment inverser les processus de différenciation et de vieillissement.

Premium Beauty News - Votre équipe est aussi impliquée dans l’étude des cancers cutanés. Très récemment, les travaux d’un de vos chercheurs, ceux de Mademoiselle Manale El Kharbili, ont reçu le prix SPIM junior Scientist 2012, pouvez-vous préciser leur contenu ?

Jérôme Lamartine - Concernant les cancers de la peau et en particulier le mélanome, nous utilisons les méthodes d’approches d’analyse globales en expression génétique pour comprendre les raisons pourquoi un mélanome est invasif ou non. Le travail de Manale El Kharbili [3] a ainsi révélé qu’une protéine membranaire, la Tetraspanin 8, est fortement exprimée dans les cellules invasives et totalement absentes dans les autres. Cette molécule s’avère donc être un candidat intéressant comme outil de diagnostique sur ce sujet ou comme cible thérapeutique.

Sur ces sujets, nous investiguons de la même manière les acteurs moléculaires impliqués.

Premium Beauty News - Lyon apparaît comme étant un pôle actif au niveau de la dermocosmétique, avec qui collaborez-vous ?

Jérôme Lamartine - Comme nous faisons de la recherche fondamentale, les industriels du monde de la cosmétique ne sont pas pour l’instant nos principaux partenaires même si nos sujets les intéressent. Nous allons néanmoins signer cette année une collaboration avec un acteur de ce milieu. Nous interagissons avec des laboratoires de recherche comme l’équipe d’Odile Damour ou avec des collègues de l’IBCP (Institut de Biologie et de chimie des protéines). Par ailleurs, en tant qu’enseignant à l’Université Lyon 1 et membre d’une commission s’intéressant aux liens entre le monde académique et l’industrie, je suis en contact avec le Centre européen de dermocosmétologie (CED).

Premium Beauty News - Pour finir, comment voyez-vous l’avenir de la cellule vous qui la regardez d’une manière globale ?

Jérôme Lamartine - La biologie subit à mon avis la même évolution que la physique entre le début du 20e siècle et aujourd’hui. D’une science expérimentale, on va peu à peu vers une science de la modélisation. Ce qui est vrai pour la physique ne l’est pas encore pour la biologie mais je pense que l’avenir est dans le rassemblement des connaissances pour espérer pouvoir un jour modéliser la cellule.

Une autre tendance, plus proche selon moi, est l’ultra personnalisation des produits et de la médecine. Il est déjà possible d’obtenir de nombreuses données biologiques au sujet d’un individu et demain pour quelques centaines d’euros, l’intégralité de son génome sera accessible. Ces informations pourront être stockées dans des cartes à puces individuelles qui pourront être consultées pour développer des traitements médicaux ou des produits cosmétiques personnalisés.

Cette évolution peut se résumer en trois mots : globalisation des analyses, personnalisation, modélisation.