Matthieu Bourgeois, KGA

Dans un contexte général de contestation du droit de propriété intellectuelle sur internet, la société Pin a voulu voir dans la décision de la Cour de cassation du 10 décembre 2013, refusant la protection du droit d’auteur au parfum [1], une « libération du parfum ». Elle présente alors sa démarche comme opérée par « une poignée de francs-tireurs » se décrivant eux-mêmes comme « des aventuriers armés simplement d’une idée, d’une vision : les essences n’ont jamais eu de propriétaires ».

Le site www.pirate-parfum.fr offrait ainsi aux internautes un moteur de recherche permettant de trouver, en saisissant le nom d’un parfum connu, les références d’un parfum alternatif (Pirate). Il s’agissait, en somme, d’une version moderne des « tableaux de concordances » que les avocats en propriétés industrielle et commerciale traquaient auparavant sur les marchés des petites villes.

Délit de contrefaçon

Assignée par 20 sociétés détenant les marques utilisées, la société Pin s’est défendue essentiellement en soutenant que l’utilisation des marques poursuivait des fins purement descriptives et comparatives. Rejetant cette argumentation, le Tribunal estime dans son jugement que «  l’usage des marques verbales dans les listes comparatives diffusées poursuit non pas des fins purement descriptives, mais un but publicitaire  », permettant à la société Pin de « tirer indûment profit des (…) marques, lesquelles sont connues comme identifiant des parfums associés à un univers de prestige, qui ont fait l’objet d’investissements marketings massifs qu’elle a pu s’épargner, tout en bénéficiant par le système d’accès aux produits qu’elle a mis en place  » et portant « atteinte à la fonction de communication, d’investissement ou de publicité attachée aux marques en cause ».

En somme, la société Pin ne se réfère pas aux marques qu’elle cite pour comparer ses produits, mais pour tirer bénéfice de leur notoriété en s’affranchissant des coûts de conception et de développement marketing que leurs propriétaires ont supporté pour parvenir à la notoriété qu’on leur connaît.

Considérant que le délit de contrefaçon de marque était caractérisé, les juges ont condamné la défenderesse à un montant de dommages et intérêts de 564.000 euros, au titre « de l’atteinte à leurs marques consécutives aux actes de contrefaçon  » et de 640.000 euros, au titre « du manque à gagner consécutif aux actes de contrefaçon », ainsi qu’à cesser toute utilisation des marques litigieuses sur son site.

Ni mensonger, ni trompeur

Les juges ont en revanche rejeté le grief de « publicité trompeuse » estimant que rien n’établissait le caractère mensonger des informations publiées sur le site www.pirate-parfum.fr, en particulier, concernant la mention faisant état de l’origine géographique (italienne et/ou française) des parfums alternatifs proposés.

De manière plus surprenante, les juges ont également refusé de considérer que les mentions « payez trois fois moins cher » et «  la seule griffe qui peut prétendre à 95% de produit pour 5% de marketing, alors que cette formule s’inverse complètement chez tous les autres » sont dénigrantes, au motif que « le consommateur normalement informé des pratiques commerciales (…) particulièrement s’agissant des produits de luxe, sait qu’une part importante de leur prix trouve sa cause dans les investissements réalisés pour leur conception, leur promotion et leur lieu de distribution, de sorte qu’il ne sera pas étonné qu’un produit imitant le parfum de grande marque (…), qui n’a pas bénéficié de la même publicité, soit moins cher  ».

Cette décision participe au renforcement du droit des marques face aux pratiques souvent agressives de certains exploitants de sites web, ce qui est une démarche suffisamment rare pour être saluée.