Thierry Hoc

Premium Beauty News - Quels sont les principaux enseignements de vos travaux sur les tissus cellulaires ?

Thierry Hoc - J’ai commencé ma carrière en étudiant la plasticité des métaux et comment des dislocations fragilisent les matériaux. [1] Lyon étant une région où les recherches sur le vivant sont très actives, en arrivant à l’École Centrale de Lyon en 2009, je me suis orienté vers des thématiques liées à la bio-ingénierie, avec une approche de mécanicien. Nos premiers travaux ont montré que l’équilibre osseux est gouverné par l’environnement biochimique de l’os mais aussi par les contraintes mécaniques que subissent les cellules.

Nos expériences ont révélé par exemple que les cellules étaient peu sensibles à la compression alors que le cisaillement améliorait leur développement. Cet environnement mécanique est donc crucial dans le vieillissement des tissus conduisant à des architectures spécifiques. Certains tissus conjonctifs créent, par exemple, des microstructures avec des fibres de collagène et d’élastine très bien orientées pour résister aux contraintes mécaniques liées à l’environnement que l’on subit chaque jour in vivo. Nous avons pu observer à partir d’essais mécaniques sur des fibres de collagène en présence de fibres d’élastine que la résistance mécanique est totalement liée aux fibres de collagène alors que le retour élastique du tissu est lié aux fibres d’élastine.

Ces travaux ont des applications directes dans le traitement des pathologies osseuses (maladie des os de verres, ostéoporose, arthrose), dans le traitement des hernies pariétales mais aussi dans l’ingénierie tissulaire qui nécessite de mieux caractériser l’environnement de la cellule. Toutes ces données vont être prises en compte lors de cultures de peau avec l’ajout de contraintes mécaniques. La peau est d’ailleurs un excellent marqueur du vieillissement comme cela a été montré par le Professeur Hassan Zahouani. Les lignes de tension à la surface de la peau reflètent le comportement mécanique et la morphologie des rides plus ou moins profondes. C’est dans ce contexte que nous utilisons la peau en tant que laboratoire du vieillissement, et que nous regardons si des corrélations existent entre les propriétés mécaniques des os et la morphologie de la peau, est-ce que dans des cas d’arthrose, la peau est plus ou moins ridée, les lignes de tensions différentes, l’élastine a-t-elle disparue ... ? Autant de questions encore ouvertes et prometteuses.

Premium Beauty News - Depuis 2012, vous êtes responsable de l’équipement d’excellence sur l’ingénierie et le vieillissement des tissus vivants (IVTV). Pouvez-vous expliquer en quoi consiste ce vaste projet choisi par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ?

Thierry Hoc - La plateforme IVTV, implantée à l’École Centrale de Lyon et sur le pôle santé de Saint Etienne, est un centre unique en Europe. Il agrège 14 laboratoires de recherche, 2 centres hospitaliers, 9 entreprises du secteur privé dont 4 dans le domaine de la cosmétique autour d’outils de haute technologie, couplant mécanique et imagerie multi-échelles pour permettre la caractérisation des propriétés chimiques, mécaniques, topographiques des différents tissus (os, dents, cartilages, peau, ligaments, artères, muscles … ), de suivre leurs vieillissements individuellement et d’établir des corrélations entre les observations réalisées. La peau étant facile d’accès, nous cherchons à savoir si son vieillissement reflète le vieillissement des autres tissus. La plateforme a été inaugurée en décembre 2012, elle propose des prestations de formation et de mise à disposition du matériel mais aussi des prestations de service. Les échanges entre les 170 membres permanents de la plateforme sont fréquents et le développement de compétences transverses une de nos priorités.

Premium Beauty News - Quelles utilisations de la plateforme IVTV sont envisagées par les industriels - dont ceux de la cosmétique - et quels sont les résultats en cours ?

Thierry Hoc - Les études opérationnelles ont débuté depuis quelques mois, à ce jour plusieurs communications orales ont été faites montrant un potentiel très important. Pour exemple, la microscopie confocale permet de suivre comment répondent les tissus mous composés de collagène et d’élastine lorsqu’ils subissent des sollicitations mécaniques, comment les fibres réagissent, comment elles se réorientent. La spectroscopie Raman assure le suivi de la pénétration des actifs à différentes profondeurs, des mesures de vitesse de propagation des ultrasons dans les tissus permettront de mieux caractériser la peau en fonction de son âge. Le champ est vaste et les domaines d’application sont la dermatologie, l’orthopédie et le cardiovasculaire avec toujours un aspect de compréhension, un aspect autour de l’interaction produit/tissu et un partenariat entre médecin / mécanicien et biologiste.

Une visite du laboratoire IVTV est prévue lors de la journée post IFSCC, organisée par le Centre européen de dermocosmétologie (CED) le 31 octobre 2014.

Premium Beauty News - Selon vous, quel pourrait être le traitement du vieillissement dans 20 ou 30 ans ?

Thierry Hoc - À ce jour, les avancées scientifiques permettent de refaire de la peau, des tissus osseux, des artères. Je pense que dans un avenir proche, on pourrait non pas rendre l’humain bionique mais anticiper la dégradation des tissus et par thérapie cellulaire remédier à ces évolutions non désirées afin de régénérer localement les tissus endommagés.