Une procédure complexe

En effet, depuis le Recast [1], les substances classées CMR ne font plus l’objet d’une évaluation automatique par le Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs (CSSC) et leur interdiction est devenue une procédure entièrement silencieuse (voir schéma ci-dessous [2]).

À présent, l’usage cosmétique d’un ingrédient se voit automatiquement interdit dès lors qu’il devient officiellement classé CMR par une Adaptation au Progrès Technique (ATP) [3] du Règlement CLP.

Toutefois, une exemption reste envisageable si l’industrie cosmétique surveille avec intérêt les développements de cet autre cadre réglementaire et notifie à temps la Commission Européenne de son intention de défendre l’ingrédient. Auquel cas, après avoir vérifié que les conditions nécessaires au déclenchement de cette procédure sont bien réunies [4], la Commission mandatera le CSSC pour la rédaction d’une opinion scientifique.

Il est important de préciser que ces deux développements (la classification de l’ingrédient au niveau de l’ECHA et l’évaluation de sécurité au niveau du CSSC) se déroulent en parallèle ce qui signifie que le chronomètre se déclenche dès le moment où le processus de classification démarre [5]. Si la classification CMR devient effective avant que le CSSC n’ait pu délivrer une opinion favorable de l’ingrédient alors l’article 15 s’applique dans toute sa rigueur et l’ingrédient est interdit sans égard pour les processus d’évaluation en cours.

Lorsque le CSSC a tout de même le temps de remettre une opinion avant la date limite, l’ingrédient est interdit (porté en Annexe II) si les conclusions sont négatives ou restreint (porté en Annexe III) sinon.

Polyhexaméthylène Biguanide (PHMB) : la fronde de l’industrie

L’industrie cosmétique a connu plusieurs déboires depuis que cette nouvelle interprétation de l’article 15 a commencé à s’appliquer et cela n’a pas été sans provoquer une certaine crispation. De fait, des ingrédients utiles tombent régulièrement et pas nécessairement en raison d’un problème d’innocuité.

Ainsi, l’industrie a joué le jeu dans le dossier PHMB [6] et l’opinion du CSSC a été publiée le 16 décembre 2014 soit deux semaines avant l’interdiction officielle de l’ingrédient [7]. Toutefois, ses conclusions étaient ambigües ce qui a conduit au dérapage du développement réglementaire.

Bien que considérant le seuil de 0.3% comme non sûr, le CSSC suggère en effet qu’une concentration inférieure pourrait s’avérer sûre d’utilisation ce que l’industrie interprète positivement. La Commission Européenne a cependant déclaré qu’en l’absence d’un seuil d’utilisation clairement établi, l’interdiction automatique prendrait place. Cette situation a pourtant créé un certain flou puisque l’industrie a poursuivi la défense de l’ingrédient. Il en résulte que certains pays, tels que la France, attendent un éclaircissement final pour implémenter l’interdiction tandis que d’autres, tels que le Danemark, ont déjà ordonné le retrait du marché des produits contenant du PHMB.

Face à cet échec, l’industrie est néanmoins parvenue à négocier deux éléments d’importance dans ce dossier. D’une part, l’incertitude liée à la nouvelle interprétation de l’article 15 a été pointée du doigt et la Commission s’est engagée à consulter ses services légaux sur la cohérence entre les différentes législations, la question de l’interdiction automatique, les périodes de transition et le statut des « anciens » CMR. Il est à noter que les États Membres eux-mêmes sont en faveur de cet éclaircissement. D’autre part, la Commission a accepté d’attendre des données toxicologiques supplémentaires de Cosmetics Europe avant de formuler un avis final sur la question du PHMB.

Le cas du Formaldéhyde 

Dans le cas du formaldéhyde, une défense vigoureuse par l’industrie a permis d’obtenir un avis positif du CSSC quant à la poursuite de son utilisation comme durcisseur d’ongles. Hélas, certains États Membres, tels que la Norvège, le Danemark et la France, sont en désaccord avec l’opinion du CSSC et refusent d’entériner le développement réglementaire permettant l’exemption [8]. Face à ce désaccord majeur, la Commission préparera pour octobre 2016 un règlement interdisant le formaldéhyde dans tous les produits cosmétiques et cela sans aucune dérogation. Toutefois, la Commission a insisté sur la nécessité de définir des critères pour l’évaluation des solutions de substitution et un workshop a récemment été tenu sur la question. Ce cas d’école ainsi que celui du PHMB ont été riches d’enseignements et la Commission a exprimé sa volonté de proposer davantage de souplesse à l’industrie à l’avenir quant aux possibilités de défense des ingrédients.

Quelles perspectives ?

L’emploi de nouvelles solutions technologiques est une solution de contournement qui peut se révéler efficace pour de nombreux conservateurs et certains ingrédients clefs.

À ce sujet, je ne résiste pas à présenter le dernier conservateur approuvé par le CSSC après plusieurs années d’échange avec l’industrie : l’EcoG+. Ce n’est pas un conservateur traditionnel puisqu’il consiste en de minuscules billes de verre phosphaté contenant 2% d’argent [9]. Ces microbilles sont mélangées à hauteur de 3% avec des billes de verre et un polymère adapté pour former un packaging composite relarguant des ions argent de manière contrôlée et, ainsi, assurant la conservation du produit cosmétique.

Si un simple avis positif du CSSC n’est pas suffisant pour permettre l’autorisation d’un conservateur, celui-ci a de bonnes chances d’être validé et représenterait dès lors une perspective intéressante pour de nombreuses marques cosmétiques.