Premium Beauty News : Karen, vous faites la démonstration que, contrairement aux idées reçues, le luxe et développement durable ne sont pas deux notions opposées.

Karen Young : C’est exact. Et pourtant, tout semble les opposer. Par définition, le luxe ce n’est pas vraiment une nécessité, finalement c’est le superflu. Il contient aussi une notion d’exclusivité, qui rime avec haute qualité. C’est une notion qui fait appel à l’émotionnel, et qui de plus est très individualiste. Tout le contraire des notions attachées à la protection de l’environnement et à l’écologie.

Il n’empêche que l’on peut difficilement imaginer tirer un trait sur cette économie du luxe. D’autant que les ventes de ce secteur ont purement et simplement triplé en quatre ans dans le monde et qu’elles représentent aujourd’hui 3% des ventes aux États-Unis, tous produits confondus.

Dans le même temps, les Américains produisent des centaines de millions de tonnes de déchets par jour (le double de la génération précédente). À titre d’exemple, en 2007, les Américains ont consommé environ 20 milliards de bouteilles en plastique. Chaque année, ils dépensent quelques 40 milliards de dollars pour transporter ces déchets, les incinérer et les recycler.

Premium Beauty News : Des chiffres qui font frémir. Et le luxe dans tout cela ?

Karen Young : Il est clair que les entreprises positionnées sur le créneau du luxe vont devoir faire plus que les autres pour trouver leur place dans un monde où les ressources naturelles doivent être préservées. Et il faut reconnaître qu’à ce jour, à quelques exceptions près, elles traînent un peu la jambe pour reconnaître leur part de responsabilité et saisir les opportunités positives qui se présentent à elles sur ce sujet.

En fait, il est urgent que ces entreprises affinent une nouvelle définition du luxe, qui tienne compte de ces nouvelles valeurs profondes liées au développement durable.

Aujourd’hui les acheteurs de produits de luxe veulent que leurs marques de luxe incarnent aussi leurs aspirations à un monde meilleur, et pas seulement dans les pays dits développés, le phénomène concerne aussi les pays émergents comme l’Inde, la Chine, la Russie et le Brésil.

Premium Beauty News : En quoi l’industrie du luxe peut-elle réellement jouer ce rôle de locomotive ?

Karen Young : Tout simplement parce qu’elle est le reflet de notre société et qu’elle doit donner l’exemple. Ses ventes ne se sont jamais aussi bien portées, ses marges sont conséquentes et son impact sur les consommateurs fait appel à l’émotion. Elle a donc toutes les ressources pour faire naître une nouvelle notion du luxe basée sur l’authenticité et le respect de l’environnement.

Que peut-elle faire ? Bien comprendre la marque et ses consommateurs, faire le ménage chez elle en matière d’environnement, réduire l’impact de la consommation en utilisant des matériaux et des composants plus écolo-sympathiques, accepter ses responsabilités en terme d’impact sur l’environnement et innover.

Il faut également intégrer que le déchet est un élément du processus créatif, tout comme la recherche de matériaux non nocifs pour l’environnement. Il faut adapter la célèbre phrase en la reformulant de manière suivante : « L’expression de la beauté peut passer par un objet pour ce qu’il représente et pas seulement grâce à son apparence ».

Premium Beauty News : L’industrie du luxe aurait donc délaissé ce terrain ?

Karen Young : Il suffit de regarder le type de communication ou de préoccupation des entreprises du secteur… Les dix premiers groupes mondiaux du luxe sont très mal classés sur ce point par tous les organismes d’étude.

Lorsqu’on visite douze sites internet de ces groupes, on s’aperçoit que seuls Tiffany et LVMH s’expriment sur le thème du développement durable.

L’entreprise John Hardy, spécialisée dans les bijoux, est l’une des rares à communiquer sur ce sujet de manière pro-active, tout comme le couturier Linda Loudermilk. Le groupe LVMH est aussi un exemple concret de ce qu’on peut faire de dynamique dans ce domaine.

Le développement durable est très important pour le secteur de la beauté et du luxe. Et il peut faire évoluer le concept lui-même. C’est ainsi que pour Donna Karan, la définition du luxe a changé : «  Le luxe n’est pas seulement ce nous nous donnons à nous-mêmes mais ce que nous donnons aux autres » explique-t-elle.

Une certaine prise de conscience est en marche au sein de l’industrie. J’aime bien citer cette remarque de Graydon Carter, le rédacteur en chef de l’édition américaine de Vanity Fair : « Vis-à-vis de la nouvelle génération, les marques de luxe qui tiendront pas compte de la question environnementale perdront une grande part de leur attrait. Si une marque veut apparaître comme moderne, elle doit s’intéresser à ce sujet. L’ignorer serait démodé et équivaudrait à un retour au siècle dernier ».