Daniel Joutard, créateur de Aïny

Le cas du Sacha Inchi

En octobre 2009, la société Greentech, spécialiste des actifs verts, renonce au brevet qu’elle avait déposé en 2006 [1] sur l’usage du Sacha Inchi (Plukenetia Volubilis), une plante des contreforts andins de l’Amazonie qui pousse entre 100 et 1000 mètres d’altitude. Déjà, Cognis France avait du renoncer à une demande de brevet portant sur l’utilisation cosmétique et dermatologique de l’huile et des protéines extraites des noix de cette même plante. Dans les deux cas une même raison, l’accusation de biopiraterie portée par des ONG mais aussi par la très officielle Commission nationale péruvienne de lutte contre la biopiraterie (Comisión Nacional para la lucha contra la biopiratería).

« Le Sacha Inchi était probablement déjà cultivé par les peuples pré-incaïques il y a 3000 ou peut-être 5000 ans, on en a retrouvé des échantillons dans des tombes. Mais cette culture était en voie d’extinction dans les années 1980, » explique Daniel Joutard, créateur de la marque Aïny, qui a bâti sa renommée par l’utilisation des plantes et des savoirs-faires des peuples indigènes. «  La graine de Sacha Inchi est une sorte d’étoile contenant des amandes particulièrement riches en omégas 3. »

Une grande majorité des cas traités par la Commission péruvienne de lutte contre la biopiraterie concerne des usages pharmaceutiques d’extraits de plante. Mais le cas du Sacha Inchi, un des cas récents ayant bénéficié d’un fort écho médiatique, montre que l’industrie cosmétique n’est pas à l’abri de ce genre de problèmes.

D’autant que la notion de biopiraterie ne se limite pas aux cas de dépôts de brevets sur des connaissances traditionnelles. SelonDaniel Joutard il faut l’entendre au sens large comme « l’accès aux ressources et aux connaissances collectives, sans information préalable sur les intentions et les recherches, sans accord explicite des communautés locales et des états concernés, sans mécanisme de compensation et, éventuellement, en déposant un brevet ayant un caractère innovant limité ».

Risques juridiques et médiatiques

Pour les entreprises, le risque est d’abord médiatique. Être accusé de spolier des peuples indigènes de leur savoir-faire ancestral n’est guère susceptible de profiter à l’image de marque. Ce risque est d’autant plus fort que l’attitude du biopirate apparaît alors en totale contradiction avec l’attitude éthique, responsable et durable souvent supposée être à l’origine de la recherche et de l’utilisation d’ingrédients végétaux.

« La biopiraterie n’affecte pas seulement les intérêts des états et des peuples autochtones gardiens des ressources génétiques et des savoirs traditionnels, mais également ceux des consommateurs de produits ‘naturels’ qui ont sans doute à cœur que ces produits respectent l’antériorité des usages et des savoirs des populations autochtones, » argumente les membres du Collectif biopiraterie.Créé en 2007, le Collectif Biopir...

Mais le risque est également juridique. Il se manifeste principalement dans le risque de déchéance de droits de propriété intellectuelle parfois chèrement acquis. Les peuples indigènes ne disposent souvent ni des ressources juridiques, ni des moyens financiers, qui doivent être mobilisés pour espérer obtenir un titre de propriété intellectuelle internationalement reconnu. Leur savoir faire traditionnel bénéficie toutefois de la protection partielle de la Convention des nations unies sur la diversité biologique, adoptée lors du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992, qui tente de réguler l’accès aux ressources du vivant, et inscrit dans le droit international la reconnaissance des savoirs traditionnels.

La convention instaure le principe du consentement préalable des populations concernées et celui du partage des avantages liés à la biodiversité. Mais là encore, les procédures sont lourdes et souvent coûteuses. Les peuples eux-mêmes n’ont pas les moyens de se défendre. D’autant qu’il n’est pas toujours facile de démontrer l’antériorité de l’usage traditionnel. « Le rapport de force peut sembler disproportionné, mais l’intérêt du brevet et de plus en plus limité face au risque de réputation que l’entreprise encourt face à un problème de ce type, » tempère toutefois Daniel Joutard.

Du côté des marques de l’industrie cosmétique, la prise de conscience ne semble pas très rapide. Ce problème apparaît loin des préoccupations quotidiennes. En matière de développement durable, il y a souvent bien d’autres priorités à régler avant que celle-ci n’émerge vraiment. Pourtant, les marques sont bien plus vulnérables que les fournisseurs d’ingrédients, dont les noms sont rarement connus du grand public. Si une action médiatique de grande ampleur est déclenchée par des ONG, ce sont forcément les produits utilisant les ingrédients incriminés qui seront mis en avant.

D’où l’importance de s’interroger sur les précautions à prendre avant d’utiliser un nouvel ingrédient végétal, et sur le contenu du cahier des charges remis aux fournisseurs.