Expertise dermatologique

Patricia Rousselle fait partie de ces chercheurs français, spécialistes des sciences de la peau, qui ont été formés dans le creuset de l’Hôpital Édouard Herriot de Lyon, où elle était interne en biologie médicale dans le Laboratoire des Substituts Cutanés. « C’est initialement pour le traitement des grands brûlés que l’Hôpital Édouard Herriot a développé une expertise dermatologique de très haut niveau, » explique-t-elle.

Patricia Rousselle, CNRS

En 1988, Patricia Rousselle commence à s’intéresser aux protéines impliquées dans les mécanismes d’adhérence de l’épiderme. Les autogreffes préparées par son laboratoire à partir cultures de cellules épidermiques saines prélevées sur les patients brûlés rencontraient de nombreuses difficultés liées au manque d’adhérence de certains épidermes greffés.

Elle rejoint alors l’équipe du Professeur Burgeson au Shriners Hospital for Crippled Children de Portland, dans l’Oregon, qui venait d’identifier et de caractériser le collagène VII, élément essentiel de l’ancrage de l’épiderme au derme. Elle participe ainsi à la découverte de la laminine de type 5 (LN-5), la protéine qui compose les filaments permettant l’adhésion de la peau.

Recherche fondamentale et applications cliniques

Des recherches supplémentaires s’imposaient toutefois avant de pouvoir envisager des applications cliniques. «  Dès l’origine nous avons travaillé en partenariat avec des laboratoires cosmétologiques intéressés par le développement d’actifs destinés à améliorer l’état de la peau, » explique Patricia Rousselle.

Elle poursuit donc ses travaux, d’abord dans le service des grands brûlés du Professeur Petit, toujours au sein de l’Hôpital Édouard Herriot de Lyon, puis avec l’équipe du Professeur van der Rest, à l’Institut de Biologie et Chimie des Protéines (IBPC). Elle retourne brièvement aux États-Unis, pour un post-doctorat au Cutaneous Biology Research Center à Harvard Medical School (Boston, Massachusetts), avant de rejoindre finalement le CNRS en 1995.

À chaque étape, elle s’interroge sur les perspectives de mise en pratique de ses découvertes et cherche à concilier recherche fondamentale et recherche appliquée. Avec un certain succès, comme en témoigne ses nombreux partenariats avec l’industrie pharmaceutique et cosmétique et avec des cliniciens. « C’est l’originalité de mes approches thématiques, » dit-elle modestement.

Partenariats industriels

Shiseido a été parmi les premiers laboratoires intéressés par ses recherches, avec le lancement dès le début des années 1990 d’une gamme anti-âge favorisant la cicatrisation et la réparation cutanée. D’autres grands noms de la cosmétique (Dior, Chanel, Yves Rocher) ont proposé à Patricia Rousselle et à son équipe des contrats de collaboration pour des missions de recherche ponctuelles.

En 2006, les études conduites sur un fragment peptidique de la LN-5, dans le cadre d’un partenariat avec les Laboratoires d’Anjou, aboutissent au lancement du baume LCE de la gamme Cébélia. Le baume est assorti d’un brevet et plébiscité par un jury de consommateurs dans le cadre des Victoires de la Beauté 2009-2010.

« La restauration de l’activité de certaines protéines impliquées dans la jonction épidermique apparaît de plus en plus comme un élément clef de la lutte contre les signes du vieillissement de la peau. C’est pourquoi nos travaux intéressent les industriels de la cosmétique, » explique Patricia Rousselle. Elle est d’ailleurs actuellement immergée, avec son équipe, dans la mise au point d’actifs anti-âges touchant l’activité des protéoglycannes dans le cadre d’un partenariat avec BASF Beauty Care Solutions.

Mieux comprendre les mécanismes du vieillissement cutané

Au cours des vingt dernières années, la recherche fondamentale a permis d’identifier les différentes molécules intervenant dans le fonctionnement des cellules de la peau. Selon Patricia Rousselle, cette étape est probablement achevée. Mais il existe un gouffre entre la connaissance d’une protéine et la compréhension de son rôle. « Ce que l’on étudie maintenant, ce sont les fonctions de ce catalogue de protéines. Nous sommes dans la phase de compréhension. Certaines des protéines ou des cellules que l’on avait un peu laissées de côté apparaissent sous un jour nouveau et on comprend un peu mieux leur utilité. »

Les scientifiques disposent aujourd’hui d’une excellente cartographie des différentes cellules et molécules impliquées dans le vieillissement de la peau et explorent leurs interactions. « En revanche, on connaît moins bien les mécanismes des dérèglements qui interviennent dans le cours du processus de vieillissement. Par exemple, s’agit-il de dégradations ou modifications des protéines, d’une moindre synthèse des protéines importantes ou bien de dégradation liées à des enzymes ? Ce n’est pas parce que l’on connaît une protéine, que l’on connaît son fonctionnement, ni ses dysfonctionnements. »

L’intérêt d’une meilleure compréhension de ces mécanismes cellulaires et des méthodes d’analyse développées par des scientifiques comme Patricia Rousselle dépasse bien sûr le seul cadre cosmétique. « Je m’intéresse de plus en plus aux aspects liés à la cicatrisation cutanée pour développer des stratégies thérapeutiques applicables dans le domaine de la réparation tissulaire et un partenariat avec l’entreprise pharmaceutique Symatèse Biomatériaux à donné le jour à un brevet commun. Je m’intéresse par ailleurs aux protéines d’adhésion impliquées dans la tumorigénèse, pour mieux comprendre les mécanismes cellulaires qui entrent en jeu lors dans la formation des cancers d’origine épithéliale, » explique-t-elle.