Dr. Marek Haftek

Premium Beauty News - Vous travaillez depuis de nombreuses années sur la barrière cutanée et ses fonctions.

Dr. Marek Haftek - Le laboratoire « Fonctions normales et pathologiques de la barrière cutanée » intégré à l’Université Lyon 1, que je dirige, s’efforce de comprendre le fonctionnement des mécanismes biologiques qui permettent à la peau d’assurer son rôle d’organe protecteur. C’est une fonction vitale, puisque la peau, en particulier sa partie la plus extérieure, le stratum corneum, ou couche cornée, constitue à la fois une protection contre le risque de perte massive des liquides physiologiques, et une protection contre les agressions extérieures.

Les dysfonctionnements de cette couche cornée sont très intéressants d’un point de vue scientifique. Ils peuvent bien sûr être la conséquence de certaines maladies, mais ils peuvent aussi en être l’origine et auto-entretenir des processus pathologiques.

Nos recherches portent notamment sur l’analyse des constituants moléculaires et de leur régulation, en particulier dans la dermatite atopique et dans le vieillissement. Nous travaillons aussi sur la protection contre les agressions physiques et chimiques et sur les phénomènes de pénétration transcutanée. L’objectif est de développer des applications thérapeutiques et industrielles orientées sur la fonction barrière de l’épiderme humain.

Premium Beauty News - Quelle est l’importance de cette barrière pour la cosmétique.

Dr. Marek Haftek - Cette barrière c’est la surface de la peau, c’est ce qui se voit. Les dysfonctionnements des fonctions biologiques qui la produisent peuvent avoir des conséquences inesthétiques qui sont au cœur des préoccupations de la cosmétique. Comprendre la biologie de cette barrière est évidemment utile pour prévenir les dommages qu’elle subit avec l’âge ou à la suite d’agressions extérieures.

La surface cutanée constituant la barrière est composée des cellules « mortes », elle est le résultat de processus biologiques préprogrammés dans les cellules vivantes sous-jacentes. De nombreux dysfonctionnements sont susceptibles d’affecter ces processus complexes et d’aboutir à des perturbations et désagréments qui peuvent aller de la simple sécheresse cutanée, avec l’inconfort qui lui est associé, à des allergies sérieuses à différentes substances, en passant par des rougeurs ou des desquamations inesthétiques. Les cosmétiques vont essayer de corriger les conséquences de ces dysfonctionnements, par exemple en apportant des lipides qui vont s’intégrer à la couche cornée, en renforçant son hydratation, afin de la rendre plus souple, améliorant ainsi son aspect et procurant davantage de confort.

On peut aller encore plus loin. C’est pourquoi nous étudions aussi le processus de pénétration des produits, cosmétiques ou pharmaceutiques, en essayant de cibler le passage de certaines molécules permettant de garantir le bon fonctionnement de la peau.

Premium Beauty News - Les agressions contre cette barrière ont-elles tendances à se multiplier ?

Dr. Marek Haftek - Indiscutablement. En fait, la peau subit de plus en plus d’agressions. Tout d’abord, les habitants des pays développés vivent dans un univers de plus en plus complexe d’un point de vue chimique, avec une multiplication des allergènes et des substances agressives dans notre environnement. D’autres facteurs, comme l’assèchement de l’air par les chauffages ou les climatisations agissent sur l’état de la peau. Dans les pays développés, la dermatite atopique se développe de manière exponentielle.

Premium Beauty News - Et l’exposition aux rayons UV ?

Dr. Marek Haftek - Elle agit aussi sur l’état de la peau, mais de manière différente. En effet, l’une des fonctions importantes du stratum corneum est de protéger les tissus sous-jacents des radiations ultraviolettes. La couche cornée absorbe environ 70 % des UVB, mais le reste traverse et peut infliger des dommages importants. Sans parler des UVA et des infrarouges qui pénètrent beaucoup plus profondément et agissent sur le derme.

Notre laboratoire, qui est principalement composé de chercheurs en biologie cutanée et de pharmaciens galénistes , s’intéresse de très près à la façon dont la barrière cutanée régit à toutes ses agressions, à la façon dont on peut renforcer les défenses naturelles.

Premium Beauty News - Quels sont les enjeux actuels de la recherche sur la fonction barrière de l’épiderme ?

Dr. Marek Haftek - Le principal enjeu scientifique est de mieux comprendre les interactions entre les différents éléments qui concourent à la production et au fonctionnement de la barrière cutanée. On a une bonne idée du rôle de chaque élément, mais on ne voit pas bien comment la modification de l’un d’eux interagit sur les autres pour aboutir à la fonction finale correcte. Un mécanisme aussi important pour la survie de l’individu ne peut pas dépendre d’un seul élément ! La défaillance d’un maillon peut moduler la fonction mais ne devrait pas l’abolir.

De ce point de vue, les maladies génétiques qui affectent telle ou telle fonction nous en apprennent beaucoup. Le développement croissant de la dermatite atopique est lui aussi riche d’enseignements. On a récemment découvert comment la mutation d’un gène (celui de la filaggrine) peut induire des défaillances de la barrière cutanée et rendre les personnes concernées très vulnérables vis-à-vis des substances présentes dans leur environnement.

Premium Beauty News - Concrètement, quelles sont les thématiques de recherche actuelles de votre laboratoire ?

Dr. Marek Haftek - Pour ce qui est des thématiques de recherche, on peut citer :

 La différenciation et la matrice extracellulaire épidermiques (Marek Haftek, Sylvie Callejon),
 Les fonctions de barrière dans l’épiderme humain normal et lors de la dermatite atopique (Marek Haftek, Sylvie Callejon, Jacques Portoukalian),
 Les rôles de cellules dendritiques dans les défenses, l’allergie et la tolérance (Josette Péguet, Claude Vincent, Aurore Rozières, Florence Persat, Evelyne Colomb),
 La pénétration transcutanée et la formulation galénique des nanoparticules à visée thérapeutique et diagnostique (Françoise Falson, Fabrice Pirot, Valérie Bertholle, Karine Padois),
 Les aspects cliniques et anatomopathologiques des greffes composites et des effets secondaires de l’immunosuppression (Sylvie Euvrard, Jean Kanitakis),
 Le mélanome (Luc Thomas).

Par ailleurs, nous organisons tous les ans à Lyon, un cours francophone de biologie de la peau (CoBiP) [1]. Tout comme les Journées européennes de dermocosmétologie, qui auront bientôt lieu à Lyon [2], ce cours contribue à la promotion de l’excellence de la région Rhône-Alpes en matière de dermocosmétologie. La région de Lyon dispose en effet d’atouts uniques avec la présence de plusieurs laboratoires majeurs spécialisés dans la recherche sur la peau et de centres de recherche de pointe sur la biologie et la chimie des protéines. La recherche fondamentale et appliquée publique est particulièrement développée : substituts cutanés et substrats dermiques, biomatériaux à base de collagène, formulation (formes topiques des produits), ingrédients actifs, pathologies cutanées - cancers et allergies, relation peau/greffe/immunosuppression, etc. La région possède un savoir-faire exceptionnel dans le domaine de la recherche dermatologique et des produits cosmétiques, il est important de le valoriser !